Emmanuelle Soulier, une femme humaniste en… politique

Publié le

28 février 2024

Un enfant n’est pas la somme de ses parents mais il peut en incarner les traits physiques et de…caractère.

Celui d’Emmanuelle Soulier, née Delmas en 1969, est particulièrement bien trempé ; il lui en faut pour exister dans l’opposition!municipale mendoise, contre vents, marées et parfois quelques turpitudes.

Mais c’est cela qui aiguise le sens de la lutte, allié à un réel humanisme.

Portrait de femme, debout, souriante et mendoise jusqu’au bout des ongles qu’elle peut avoir acérés !

« Mon père et mon grand-père ont accouché ma mère à l’ancien hôpital, c’est donc là que je suis née le 22 mai 1969. J’aime beaucoup cette symbolique… » Un rien nostalgique, Emmanuelle Soulier garde néanmoins un souvenir amer de son adolescence marquée par la rupture. Elle est aujourd’hui apaisée familialement, échappant à l’ombre du père Jean-Jacques pour mieux s’en nourrir et donc s’en affranchir.

Interrogation shakespearienne

L’épiphanie de la Mendoise sera… Montpellier : «  Là, je suis devenue moi-même ! Et j’ai décroché un DEA en histoire. J’ai rédigé un mémoire sur les lieux de sociabilité en Lozère, c’est-à-dire les cafés et les cabarets. » Lors de ces années de facultés, l’étudiante se plonge dans la lecture et se découvre une soif inextinguible pour les livres.

On est en 1992, elle a 23 ans, un DEA en poche avec mention très bien et puis…quoi, maintenant, après !?

Interrogation shakespearienne qui se résout par une licence d’administration publique et un retour à Mende. « Je n’étais pas trop contente de retrouver la proximité parentale et en fait je me suis sentie isolée. J’ai fait des vacations dans l’enseignement et puis Monique Masseguin m’a proposé un emploi Jeunes au sein de l’Office de la Culture de Mende. »

C’est ainsi que la thésarde commence à bâtir son nouvel ancrage mendois, devenant animatrice du patrimoine et…mère de famille, son souhait le plus vivace. Elle s’engage à fond, met en place les visites nocturnes et les petits déjeuners à la Croix du Mont Mimat, pour s’immerger dans les levers de soleil. Sa ville, elle la connaît et sait la faire découvrir via des chemins insolites et des commentaires poético-historiques.

La naissance naturelle en politique

Et puis la politique va émerger, de manière naturelle chez cette femme qui rappelle que son grand-père était radical-socialiste et son père centriste. Maire de Mende durant quatre mandats, député de la Lozère, Jean-Jacques Delmas souhaite passer la main et les clés de la cité. C’est l’heure d’Alain Bertrand, opposant de longue date, rêvant du poste de premier magistrat.

Dans un premier temps, Emmanuelle Soulier estime que c’est une bonne chose mais elle constate que le nouvel édile abandonne le coeur de la ville : « Alors cela m’agace, dit-elle en souriant, et l’arrachement des platanes a fini de m’énerver. Nous sommes vers 2016-2017 et je vais voir Alain Bertrand pour lui dire qu’il trahit la ville. Et je me retrouve au placard ! Je connais alors des moments de grande solitude et je finis par quitter ce travail que j’aimais beaucoup. Mais j’ai envie de me battre ! »

Et ce sera donc sur le terrain ou plutôt le champ de mines politique, propice aux erreurs, aux erreurs de casting. Ce sera le cas, par deux fois mais Emmanuelle Soulier apprend vite et décide de prendre son destin en mains.

L’aventure au long cours (agité) des municipales

C’est ainsi qu’en septembre 2018 elle réunit à son domicile mendois quelques personnes susceptibles de monter une liste aux municipales, proposant une alternative à Laurent Suau, fils spirituel d’Alain Bertrand – devenu sénateur, celui-ci lui avait alors confié les rênes de Mende.

« Alors, c’est sûr, ,je suis apparue comme une femme sans boulot, mettant du rouge à lèvres et des tenues décolletées, à l’air désinvolte. De toute façon, j’ai toujours eu l’impression qu’on me prenait pour une conne ! » La conseillère municipale rit, d’un rire franc, joyeux, teinté toutefois d’un soupçon d’amertume.

Elle assume, elle s’assume et se retrouve seconde sur une liste qu’elle a contribué à monter, en toute légitimité. L’apprentissage (si tant est qu’on l’apprenne!) de la trahison est toujours rude mais in fine la trahison durcit le cuir de celle ou celui qui l’a subie.

L’envie d’envoyer tout valser lui traverse l’esprit mais sa fille lui déclare, telle une conseillère politique à qui on ne la fait pas  : « Maman, si tu t’en vas, c’est eux qui vont gagner !.. »

L’électron libre de la minorité

2020, Emmanuelle est élue au conseil municipal comme au conseil communautaire. Dans la foulée, elle passe un diplôme universitaire (Desu ) en Droit et gestion des collectivités territoriales (Paris 8, St-Denis), obtenu en 2021.

Devenue l’électron libre de la minorité, retrouvant son droit de parole, l’élue crée avec deux autres conseillers le groupe De Mende et Vous qui est bel et bien indépendant et non le satellite de l’opposition (4 élus). Le maire dispose d’une très confortable majorité et peut « gouverner » à sa guise mais non sans avoir affaire à la parole libre, ferme mais toujours courtoise, d’Emmanuelle Soulier, notamment.

Celle-ci s’appuie toujours sur des faits et des chiffres qui nourrissent commentaires et suggestions – suggestions écoutées mais plus que rarement entendues.

Constatant avec un certain ahurissement l’installation de dinosaures en plastique made in China sur le causse de Mende (véritable jardin d’altitude pour les Mendois et les visiteurs), la conseillère se pose des questions sur la vocation culturelle brandie comme argument par le maire. D’autant plus que le démontage (euphémisme…) a coûté 38 000 euros à la Com Com. Cela peut paraître anecdotique mais c’est le dinosaure susceptible de cacher la forêt de dossiers/sujets prêtant à discussion voire à contestation. Même si Emmanuelle Soulier reconnaît que le maire prête plus d‘attentions au centre-ville, qui en a bien besoin, certes.

Mais l’alacre quinquagénaire à la vocation de lanceuse d’alerte explore de nouveaux horizons, au-delà du bassin mendois (lire ci-après), et imagine une Lozère libérée des carcans administratifs et des découpages territoriaux aléatoires.

Persévérance, exigence (envers elle-même, d’abord), bienveillance, pertinence… Emmanuelle Soulier est une humaniste : « J’aime Mende, j’aime la Lozère, et puis j’aime surtout les gens. »

La métropole rurale de Lozère, concept inédit !

« Passer ce diplôme universitaire en 2021 m’a permis de me reconsidérer, de me construire une bonne culture administrative et de rencontrer de nombreux élus de tous bords, de toute la France. » Discutant, écoutant, la Mendoise enrichit ses connaissances et son carnet d’adresses.

Et chemin faisant, elle réfléchit (elle le fait depuis longtemps) et considère que le découpage territorial étouffe la Lozère avec ses 13 cantons dessinés à la hache et ses 10 communautés de communes qui, parfois, chevauchent allègrement les limites cantonales.

Elle note aussi l’incohérence de la Com’Com du Haut Allier qui affiche un « territoire » de 9 km sur 4 !

Alors les compétences se télescopent et créent une sorte de cacophonie néfaste à tout réel aménagement des territoires, à leur avenir, simplement. Et puis, cette « organisation » est financièrement plombante et contre-productive quand on constate que 80 % du budget de la Com Com Coeur de Lozère va sur du fonctionnement, l’investissement se contentant d’un 20 %. Alors qu’il est la clé de tout avenir…

D’où l’idée, iconoclaste pour maints membres du monde politique lozérien microcosmique, de créer la métropole rurale de Lozère : « Elle serait une seule Com’Com de 75 000 habitants avec tout ce que cela implique de compétences partagées et d’investissements possibles, mutualisés. »

Les maires de petites communes ne seraient plus obligés de quémander et on aurait une véritable unité territoriale, une authentique communauté de destin qui ne gommerait pas les identités.

Oui, il a de l’allure, cet audacieux oxymore : métropole rurale… Alphonse Allais doit sourire, sérieusement !

Jean-Philippe ROUX